Paul Roitman s’installe en Israël en décembre 1970. Il ne lui faudra pas longtemps pour reprendre ses activités sociales et éducatives. Une visite qu’il fait, dès les premiers mois, dans le quartier défavorisé de Shmuel Hanavi, le bouleverse. A l’âge où d’autres songent à réduire le rythme, il se lance avec fougue dans la bataille de l’intégration et de la justice. Comme par le passé, ses activités couvriront un champ très large : il multiplie les initiatives en Israël, sans oublier pour autant ses responsabilités par rapport à la Diaspora.
Dès son arrivée, il entre au comité directeur du Mizra’hi mondial, qui le charge des liens avec l’Europe, qu’il connaît si bien. Il pourra ainsi poursuivre, à partir de Jérusalem, une grande partie du travail entrepris en France.
Dans ces années qui font suite à la guerre des Six Jours, Israël connaît une forte vague d’immigration. Paul rencontre de nombreux étudiants, venus du monde entier, et pour la plupart coupés de leur famille. Pour eux, il organise des repas chabbatiques dans les sous- sols du Heikhal Shlomo, au siège du grand rabbinat d’Israël. Ils sont une centaine à se retrouver, chaque vendredi soir : ce sera le noyau du futur groupe de bénévoles qu’il enverra très bientôt sur le terrain, dans les quartiers défavorisés.
Bientôt nommé délégué permanent des Consistoires de France et de Paris, il mènera à terme plusieurs projets de développement soutenus par le judaïsme français. Sur une initiative du baron Alain de Rothschild, il assure la construction à Jérusalem de la synagogue Peer Yeroushalayim, destinée aux fidèles de rite sépharade. La communauté locale, reconnaissante, dédie au rabbin Roitman un siège qui porte son nom.
Ces premiers contacts l’engagent comme naturellement dans la voie qui est la sienne. Déchiré par le spectacle, à Shmuel Hanavi, des gamins qui traînent dans la rue, désœuvrés après l’école et livrés à eux-mêmes, Paul Roitman se jure de « faire quelque chose » pour les plus démunis. Il décide alors d’appliquer en Israël la méthode qui lui a si bien réussi en France, et de créer à Sion la réplique israélienne de Thora Vetzion, devenue Thora Betzion.
Pour mener à bien son projet, il s’entoure de jeunes olim, souvent d’anciens ’hanikhim d’Europe ou d’Afrique du Nord, auxquels s’adjoindront des Américains, des Russes (qui commencent à arriver), des Sud-Africains, et bien sûr des Israéliens. Avec la même foi que jadis, ces jeunes étudiants sillonneront les quartiers pauvres des grandes villes et des villes de développement, pour encadrer et organiser les enfants.
Peu à peu, le travail se développe. Grâce aux efforts de Mme Fanny Kaplan, l’épouse du
grand rabbin de France, qui a réussi à réunir les fonds nécessaires, Paul Roitman entreprend
la construction de trois Centres communautaires dans trois grandes villes du pays :
Jérusalem (en 1973), puis Haïfa (1977) et Beer-Shéva (1979). Ce sont des centres-pilotes, vite
réputés pour leurs activités nombreuses - culturelles, éducatives et sociales. On y trouve une
garderie d’enfants, mais aussi bien des cours pour adultes (qui vont de l’étude de l’alphabet
aux cours de Talmud), en passant par les langues étrangères, des clubs de sport, des ateliers
de couture. Par ricochet, les activités pour les jeunes attirent les parents derrière eux. Le
Centre communautaire va leur permettre de renouer avec leurs racines et leurs traditions, et
de se restructurer en communautés.
En 1974 Paul Roitman collabore, avec Léon Askénazi (Manitou), à la création de l’école de cadres Mayanot. Il y assurera, pendant de longues années, le cours de pédagogie.
En 1976, au nom du gouvernement français, le grand rabbin Kaplan lui remet la médaille de la Légion d’honneur, en reconnaissance des services rendus et de sa contribution à la réinsertion sociale des réfugiés juifs d’Afrique du Nord. Quelques années plus tard, en 1987, le rabbin Roitman sera promu au grade d’officier de la Légion d’honneur, au titre de la Résistance.
Il crée encore à Baka en 1982, grâce à la générosité d’Isidore Frankforter, un centre d’accueil pour le troisième âge, qui portera le nom de « Maison Frankforter ». Nommé en 1985 président de l’association, Paul Roitman multiplie les initiatives. Des volontaires assurent le transport des personnes âgées depuis leur domicile jusqu’au Centre. La Maison Frankforter leur propose des cours, des activités culturelles et récréatives, mais aussi un service de soins médicaux gratuits, assuré par des médecins bénévoles. Dans les mêmes années, Paul Roitman entre au comité des Anciens de la Résistance juive : il dirigera l’association jusqu’en 1992. Il introduit des innovations dans le déroulement de la cérémonie qui se tient chaque année à Yad Vashem : en particulier une étude de mishnayot.
Avec les années, l’originalité de Thora Betzion va s’affirmant, dans le contexte social, politique et religieux de l’Israël moderne. Le programme éducatif de l’association vise à reconstruire autour de la synagogue une structure communautaire vivante, attachée aux valeurs traditionnelles et nationales. Cette orientation plurielle et apolitique est un phénomène original dans la société israélienne de l’époque, et jusqu’aujourd’hui. La force de Thora Betzion, et l’une des raisons de son succès, est son indépendance à l’égard de tout parti ou institution.
En 1985, Paul Roitman décide de lui associer un mouvement de jeunesse spécifique, qui
s’adressera avant tout aux jeunes des zones défavorisées, et leur permettra de s’identifier
avec un idéal : Tzedek.
Tzedek, qui signifie « justice », est aussi l’acronyme des trois termes qui constituent sa base
idéologique : Tzioni (sioniste), Dati (religieux), Kehilati (communautaire). Un mouvement
religieux, mais ouvert à tous. Un mouvement sioniste, mais non affilié politiquement. Ce qui
est mis en avant, c’est la solidarité nationale, l’œuvre commune de reconstruction, la
participation au développement du pays. Enfin, un mouvement communautaire : issus pour
la plupart de milieux modestes, ces adolescents prennent conscience de leur responsabilité
dans la cohésion et l’avenir de leur communauté.
Paul Roitman croit en cette jeunesse souvent laissée pour compte, et n’a de cesse qu’il ne lui ait rendu son autonomie et sa dignité. Un jour, rêve-t-il, ces adolescents deviendront des leaders, et assumeront des rôles phares dans la vie publique.
Rapidement, le mouvement se propage, et connaît un essor considérable. En quelques années, il regroupe trois mille enfants, répartis dans 37 centres régionaux disséminés à travers tout Israël, et établis en priorité dans les villes de développement ou les quartiers déshérités. Thora Betzion-Tzedek enregistre de réels succès, en particulier dans l’effort d’intégration des nouveaux immigrants Ethiopiens ou Russes.
Bien que le rabbin Roitman n’ait jamais agi que pour son peuple et dans un total oubli de lui- même, son action est saluée de toutes parts : dès 1985, l’Organisation sioniste mondiale lui décerne le prix de Jérusalem. En 1993, il allume l’un des flambeaux du souvenir à Yad Vashem, au nom des combattants de la Résistance Juive en France. En 1999, il est fait citoyen d’honneur de la Ville de Jérusalem. En dépit de la maladie qui progresse, il continue à sillonner infatigablement le pays, à visiter les différentes sections. Au jour de Pourim, il tient à se rendre lui-même sur les lieux de distribution de café chaud et de gâteaux aux soldats, organisée par les enfants de Tzedek. Pour eux, il est déjà figure de légende.
Le 21 août 2007 (7 Ellul 5767), Paul Roitman, le « rabbin combattant », comme l’appellera le Rav Aviner, s’éteint à Jérusalem. Quelques années plus tard, la Ville lui rend hommage en inaugurant une place à son nom.
Le Rabbin Paul Roitman, délégué permanent des Consistoires en Israël, fait en ce moment une tournée dans les communautés juives françaises. Cet ancien résistant, qui fut directeur de la section religieuse du département de la jeunesse à l’Agence juive, a fait son Alya à la fin de l’année 1970. Il avait, depuis quinze ans, créé et animé Thora Vetzion et Tikvaténou. Le Journal des communautés l’a rencontré.
- Quelle est votre activité en tant que délégué permanent en Israël ?
Je suis chargé de tout ce qui concerne la représentation des Consistoires auprès des francophones et des institutions officielles. Sur le plan pédagogique, j’anime les séminaires de Tivaténou qui se tiennent en Israël, ainsi que les séminaires d’animateurs de communautés organisés par le Consistoire de Paris. Mon activité m’amène également à avoir de fréquents contacts avec le Grand Rabbinat d’Israël, avec l’Union mondiale des synagogues, surtout lors de la préparation des conventions biannuelles du Consistoire Central en Israël. Tout cela, sans parler évidemment du soutien aux olim de France, et à la recherche de solutions aux problèmes individuels et familiaux.
- Comment avez-vous lancé en Israël votre action éducative et sociale ?
Par le moyen de maisons communautaires où se retrouvent les francophones des quartiers les plus déshérités. A Jérusalem, c’est le centre Fanny Kaplan. La première pierre du centre de Haïfa vient d’être posée, et un troisième centre verra sa première pierre posée, à Beer- Sheva, lors de la prochaine convention du Consistoire central.
- Quelle est l’activité de ces centres ?
On y accueille, entre autres, des groupes d’enfants et d’adolescents, réunis sous le label de « Thora Betzion » (La Thora à Sion). Il y a déjà cinq groupes qui fonctionnent à Jérusalem. A Haïfa et à Beer-Sheva, avant même l’achèvement des maisons communautaires, de jeunes bénévoles organisent des réunions dans des locaux provisoires. Il s’agit d’enfants qui grandissent dans les quartiers les plus défavorisés, ceux où l’on construit de grands immeubles du type HLM. A Haïfa, un groupe de bénévoles s’est constitué sous la direction de Jacques Goldberg, professeur de physique au Technion.
- Tout cela s’inscrit-il dans la ligne de Tikvaténou et de Thora Vetzion ?
Certainement. De 1958 à 1970, j’ai voulu lancer un mouvement destiné à résoudre deux problèmes qui se posaient alors à la communauté française : localiser les rapatriés d’Afrique du Nord encore inorganisés, et ramener au judaïsme de jeunes intellectuels plus ou moins indifférents. D’une pierre nous avons pu faire deux coups : les jeunes intellectuels que j’avais rassemblés ont visité, en douze ans, plus de 20.000 familles de la région parisienne, aidant ainsi à constituer de nouvelles communautés. 60 % de ces 370 jeunes sont devenus des shomerei mitzvot, des juifs pratiquants. D’autres jouent un rôle important dans les organismes juifs ou les institutions publiques.
- Votre séjour actuel à Paris répond-il à un projet précis ?
Je suis en France pour un mois et compte y revenir deux fois par an, pour faire le tour des communautés de Province. Mon idée est de créer une sorte de « S.V.P. Judaïsme ». Je voudrais susciter, comme naguère, des vocations d’engagement au service du judaïsme : qu’il s’agisse de s’occuper des élèves des classes terminales en y créant des cercles d‘études, de favoriser le retour des jeunes et des moins jeunes à la synagogue, ou de promouvoir une action en faveur d’Israël. Le tout vise à recréer une solidarité communautaire.
-Comment allez-vous procéder ?
Pour pallier le manque de cadres, je compte organiser pendant l’été des séminaires de formation en Israël. L’institut Mayanot, que dirige Manitou, et qui est un compromis entre la formule « Orsay » et la formule « Thora Vetzion », formera les jeunes dirigeants de demain. J’ai bon espoir que cette action portera ses fruits, comme naguère Thora Vetzion.