Léa Roitman (1919-2014)

Léa Roitman en vidéo

"https://youtu.be/JbWA2Q7HSlU"

Biographie

Léa (Lorka) Schleider naît en 1919 à Jaroslaw (Galicie, Pologne), dans une famille orthodoxe de la petite bourgeoisie juive locale. Elle est la benjamine de trois enfants et reçoit, comme ses frères, une éducation juive traditionnelle.
Ses parents tiennent un petit commerce de papeterie au centre-ville. En 1929, c’est la crise économique mondiale, qui se double en Pologne d’une flambée générale d’antisémitisme. Les boutiques juives sont boycottées, les affaires périclitent. Nathan Schleider rembourse ses associés et organise le départ de la famille. Ils échoueront d’abord à Berlin, dans une Allemagne déjà instable et menacée, puis à Lens, dans le Nord de la France. Mendel, l’aîné, reste en Pologne pour poursuivre ses études, et rejoindra la famille un peu plus tard.
Les Schleider se joignent à la communauté juive locale, particulièrement dynamique et engagée dans l’action sioniste. Léa et son frère Haïm (Charles) découvrent aussi la France, sa culture et son raffinement. Haim, exceptionnellement doué pour la littérature et les beaux- arts, fait de brillantes études. Léa se prépare à devenir assistante sociale. Elle frappe son entourage par son intelligence et sa beauté. En 1938, la Fédération de la jeunesse sioniste l’envoie comme déléguée à la Conférence de la jeunesse juive de France, qui se réunit à Paris au mois d’avril.

La guerre (1939-1945)

En 1939, la famille fuit les bombardements allemands sur la frontière Nord et descend vers le centre de la France. Ils arrivent à Niort, en zone occupée, une petite ville des Deux Sèvres non loin de Poitiers. Ils y resteront jusqu’en été 1942. Une nuit de juillet, dans le cadre des grandes rafles, la police française vient arrêter son frère Haïm, qui ne reviendra pas. Quelques jours après, c’est Frida Lieber, la cousine germaine et l’amie d’enfance de Léa, qui est arrêtée. La famille comprend qu’il est temps de fuir.
Pour passer en zone libre, les Schleider marchent à travers la montagne, guidés par des passeurs. Dès qu’ils ont traversé la ligne de démarcation, ils décident de se séparer, afin de moins s’exposer aux arrestations.

Léa est donc seule lorsqu’elle arrive à Toulouse à l’automne 1942. C’est là que, chez des amis, elle rencontre un soir Paul Roitman, alors jeune étudiant en médecine. Il anime un cercle d’études juives qu’il a fondé, et d’où sortiront les cadres de l’Armée Juive. Sous des dehors très différents, les jeunes gens partagent les mêmes valeurs et se fiancent aussitôt. Ils ne se quitteront plus. Léa s’engage aux côtés de Paul dans l’action résistante. Son parcours se confondra alors avec celui de tout le groupe de l’A.J., qui deviendra l’O.J.C., l’Organisation juive de combat : d’abord Toulouse (jusqu’à la miraculeuse libération de Paul en mars 1943), puis Grenoble, en zone italienne, où ils poursuivent leurs activités, et qu’ils quitteront à la fin 1943, après l’occupation de la zone italienne par les Allemands. Et enfin Castres, où les résistants resteront jusqu’à la libération de Castres, en fin août 1944.

Léa est chargée principalement d’apporter aux juifs étrangers qui se cachent les faux papiers qui leur permettront de sortir dans la rue et de se ravitailler. Elle prend souvent le train, circule en vélo avec son grand panier. Le principe des « vraies » fausses cartes est simple, appuyé sur la complicité des administrations locales : établie à partir des registres d’état civil, la carte est établie au nom de personnes réelles, dont elle double l’identité. Léa change plusieurs fois de nom, Denise Laurent ou Yvonne Druilhet. Parfois, elle est suivie : elle entre chez un coiffeur, ou une couturière, prenant le risque de leur demander de l’aide. En cas d’alerte, dans le train, elle entre dans les toilettes et déchire les précieuses pièces en mille morceaux. Un jour, à la descente du bus, à Castres, c’est la perquisition. Pour une fois, elle n’a rien caché dans le talon de ses bottes, accessoire à la mode dont elle fait généralement bon usage. Mais, dans le grand sac qu’elle porte à la main, il y a un paquet d’environ cent fausses cartes, enveloppé dans un vieux papier journal. Sa première pensée : « pourvu que je tienne sous la torture ». Quand son tour arrive, elle reste jolie et enjouée. « Vous me chatouillez » dit-elle en riant aux miliciennes qui la fouillent. Puis, d’un geste naturel, elle leur tend, de la main droite, son panier vide, attrapant de la gauche le petit paquet qu’elle retire d’un geste gracieux, comme pour mieux leur faciliter le travail : « Vous ne voulez pas regarder mon sac aussi ? » Les miliciennes sourient, Léa replace les cartes emballées dans son sac, sourit elle aussi, jeune française insouciante, et s’apprête à sortir. Mais il lui faut encore passer le contrôle d’identité général, formalité qu’elle connaît par cœur. Cette fois, pourtant, sous le coup, encore, de la violente émotion, elle a un brusque trou de mémoire. Impossible de se rappeler le nouveau nom qui lui a été attribué depuis une ou deux semaines, et qu’elle n’a pas vraiment eu le temps de mémoriser. Elle ne sait pas où elle est née, ni quelle est son adresse. Avoir échappé au pire, et se faire prendre pour une broutille ! Arrivée au guichet, elle pose sa carte à plat sur la table, sans un mot, et met les mains derrière le dos, pour cacher leur tremblement ; l’employé jette un coup d’œil à la carte et laisse passer sans poser de question. Elle ne « craque » que quelques minutes après, quand elle aura quitté la gare routière, récupérée par les copains très inquiets.

Léa Roitman sera reconnue comme l’une des héroïnes de la Résistance Juive en France.

Paris (1945-1970)

Paul et Léa se marient en janvier 1945, dans la petite synagogue de Toulouse. Au bout de quelques mois, le jeune couple monte à Paris. Leur foyer, au 212 rue Saint Martin, deviendra très vite le lieu de rencontre de la jeunesse sioniste et religieuse de l’époque, rescapée de la tourmente. Ils n’ont pas un sou, vivent sans eau courante et avec, pour tout meuble, quelques caisses en bois. Mais Léa, déjà, est la fée du logis, l’âme de cette maison où vont s’élaborer de grands projets de reconstruction et de survie. C’est là que naît Julien, le fils aîné, suivi quelques années plus tard par Betty et Eliane.

Durant toute la carrière du grand rabbin Roitman, ce rayonnement ne se démentira pas. La maison est ouverte à tous, souvent la seule adresse pour les personnes isolées ou en déplacement. Les Israéliens ne connaissent que le 82, rue d’Hauteville. Léa ne sait jamais, le shabbat matin, combien de convives son mari lui ramènera de la synagogue. Elle assume seule les week-ends où il part, vers l’Europe ou l’Afrique du Nord. Avec le développement de Thora Vezion, ce groupe de jeunes intellectuels qui fit tant pour le sauvetage des juifs réfugiés d’Afrique du Nord, elle devient un symbole : celui de l’harmonie possible entre éthique et esthétique, entre modernité et tradition. Elle est une vraie parisienne, qui allie, dans la discrétion, le goût et l’élégance. Mais elle a le cœur juif, elle place au sommet de son échelle de valeurs la bonté, la droiture, la fidélité historique. Son intelligence, sa personnalité, son charme, achèveront de convaincre ceux qui ont grandi loin de la communauté, mais dont le chemin a croisé la fougue du jeune rabbin Roitman. Elle est un second soleil, qui ne brille que quand il faut.

Israël (1970-2014)

En décembre 1970, Paul et Léa font leur alya à Jérusalem. La rue Elie Cohen prend la relève de la rue d’Hauteville. Là encore, leur domicile est le quartier général d’où Paul lancera de nouvelles actions éducatives et sociales… La maison ne désemplit pas : amis ou militants, personnes isolées ou ministres, rencontres ou réceptions. Léa est toujours disponible pour chacun, et répond à chaque requête avec sa grâce et sa clairvoyance coutumières. Au centre Fanny Kaplan, à Shmuel Hanavi, elle contribue à l’organisation des événements qui ponctuent la vie du Centre, telles les manifestations officielles ou les ventes de charité. Parallèlement, sa riche personnalité trouve à s’affirmer dans de multiples domaines : à cinquante ans passés, elle réalise le vieux rêve de s’inscrire à l’Université, et devient rapidement la coqueluche du département des Lettres françaises, et sa meilleure étudiante. Elle trouve le temps de faire du sport, de suivre des cours de guemara et d’Histoire juive. Surtout, elle lit beaucoup, malgré les multiples tâches familiales : elle accueillera chez elle son père Nathan, gagné par le grand-âge.

Les dernières années

En 2007, Léa reste seule. Terriblement affectée par le deuil, elle décide pourtant de ne pas sombrer. Tout le monde connaît, dans le quartier, sa petite silhouette décidée qui, tous les matins, vers 6h, sort faire sa marche dans les rues de Jérusalem, saluant au passage les fidèles en route pour la synagogue. Plus rares sont ceux qui savent qu’à près de 90 ans, Léa Roitman s’est mise à la peinture, s’initiant au pastel auprès d’un jeune artiste de l’école Bezalel qui s’étonne de son talent. Qu’elle lit dans plusieurs langues, des heures durant, tous les ouvrages qui lui tombent sous la main. En 2008, au Centre communautaire de Paris, lors d’une cérémonie d’hommage consacrée à la mémoire de son mari, Léa Roitman prend la parole, devant un auditoire d’environ 200 personnes. M. Moïse Cohen, alors président sortant du Consistoire, propose au public de rendre hommage à celle qui a partagé la vie et les combats du grand rabbin : sans elle, rien n’aurait été possible. Alors une foule nombreuse se lève, applaudit debout, de longues minutes durant, cette femme d’apparence si frêle qui a tenu tant de tempêtes.

Léa Roitman a gardé son humour et sa ténacité jusque dans la maladie, qui fut âpre et longue. Elle stupéfait les médecins par ses ressources vitales, brisant toutes les statistiques. Du fond de son fauteuil, presque muette et paralysée, elle garde encore des réparties très vives, en même temps qu’une sorte de réserve aristocratique. Elle ne veut pas déranger, ne se plaint jamais, se soucie d’autrui.

Cette grande dame s’éteint à Jérusalem le 8 octobre 2014, veille de Souccot 5775.


Oeuvres d'art de Léa Roitman


La voix de Léa

Léa Roitman - Centre Communautaire 2009 (1)
Léa Roitman - Centre Communautaire 2009 (2)
Léa Roitman - Cassette Shorashim