Nous sommes en 1965 : le mouvement Thora Vezion est alors à son apogée. De nombreuses communautés ont été fondées, et dans la banlieue parisienne la vie juive est en plein essor. Une question pourtant se pose encore avec acuité : celle des activités pour les jeunes après la Bar-Mitzva. Les enfants sont pris en charge par le Talmud-Thora, les adultes, eux, se regroupent autour de la vie communautaire. Quant à la génération intermédiaire, qui constitue une catégorie en soi, elle n'a jusque-là pas été prise en compte, et risque de remettre en cause les résultats acquis. C'est le moment, juge le rabbin Roitman, de créer pour les 13-20 ans une section « jeunes » de Thora Vezion, à laquelle il songe depuis longtemps, et qu'il nommera Tikvaténou, « notre espoir ». Il veut que ces enfants de la « deuxième génération », échappant aux dangers de l'assimilation, connaissent les valeurs juives authentiques et retrouvent la fierté d'être juif.
Tikvaténou accueille donc ces adolescents, pour la plupart grandis dans les banlieues, et
les
regroupe autour de la synagogue, formant ainsi le réservoir des fidèles et des militants à
venir. C'est un mouvement de jeunesse au plein sens du terme, avec son uniforme, son
insigne - et même un hymne, que le rabbin Roitman compose spécialement pour eux. L’idéal
du Mouvement, ses principes éducatifs, sont ceux auxquels Paul Roitman a toujours cru :
faire prendre conscience aux jeunes de leur responsabilité au sein de la société juive, et
renforcer du même coup leur propre identité cultuelle et culturelle. En règle d’or, l’étude
doit toujours déboucher sur l’action, et la réflexion idéologique, sur un engagement
concret.
A l’horizon, le message sioniste oriente l’ensemble de l’expérience éducative et religieuse,
et
par vagues successives le nombre de ’havérim partis en alya ne fera que
grandir.
Pour lancer le Mouvement, Paul Roitman recrute madrikhim et professeurs. Une équipe
d’anciens - Michel Grinberg, Alain Hass, Victor Amara et Marc Dadi - forme le bureau
exécutif. Ces fidèles lieutenants sillonnent les communautés, animent les séminaires,
accompagnent Paul dans ses « missions » en banlieue ou en province (et jusqu’à l’étranger).
Les sorties récréatives, excursions et oneguei chabbat se succèdent, associés à un
enseignement juif systématique. Les nuits d’étude ou les journées pédagogiques permettent
de réunir chaque fois près d’une centaine de jeunes, issus des différents snifim.
Raphaël
Cohen, David Brézis, Denis Ansbacher, ou encore le rabbin Daniel Gottlieb et d’autres,
contribuent par leur enseignement à la réussite de ces rencontres.
En été, des ma’hanot permettent une expérience directe de la vie juive en commun.
Enfin,
pour la formation de cadres, des cours permanents sont organisés au local du Centre
Edmond Fleg, que le président Alain de Rothschild a mis à la disposition du Mouvement, au
titre de ses liens privilégiés avec le rabbin Roitman.
Mais l’essentiel de la transformation sociologique et culturelle réalisée par Tikvaténou
s’effectue dans les séminaires. Pour les préparer, les responsables parcourent les
communautés - Chelles, Orly, Le Kremlin-Bicêtre, Créteil, mais aussi Tours, Limoges,
Périgueux – afin d’y repérer chaque fois un ou deux ’havérim propres à participer aux
mini-
séminaires de formation à Clermont-Ferrand ou Champtretôt, ou encore, en juillet, au grand
séminaire de Doorn en Hollande (1967 et 1968). Ces semaines intenses, qui représentent
pour beaucoup la première initiation à un mode de vie authentiquement juif, cimentent la
cohésion du Mouvement, renforcent son idéologie, et marqueront les jeunes d'une
empreinte inoubliable.
Dans l’esprit du rabbin Roitman, il s’agit d’assurer à cette jeunesse une direction
autonome,
issue de ses rangs, et riche de sa culture propre. Les enfants des banlieues deviendront à
leur tour des madrikhim, capables de transmettre aux plus jeunes le sens du groupe et
la
fierté de leurs traditions. Paul Roitman, qui a toujours pensé en termes du klal, du peuple
juif dans son ensemble, respecte aussi, en chacun, sa particularité et ses origines. Il se
refuse
à toute attitude paternaliste, et ne cherche à imposer ni ses catégories ni son style. Il
faut
rendre à cette jeunesse son patrimoine dans sa diversité, et lui permettre de s’épanouir de
façon indépendante et selon ses propres voies.
Un rapport de 1969 fait le point sur le nouveau mouvement, son fonctionnement et son
ampleur. Une vingtaine de snifim sont déjà actifs, parmi lesquels Champigny, Le
Kremlin-
Bicêtre, Nanterre, Rosny-sous-bois, Orly, Sarcelles, Le Vésinet, Montrouge, et Paris 15ème
(Chasseloup-Laubat). D’autres snifim sont en cours de formation à Clichy, Asnières,
Antony,
La Varenne Saint-Hilaire, Meaux.
« Paul. Son nom était Paul. Tout simplement. Ni Paul Rojtman. Ni Rabbi Paul. Ma bar-mitzva, je l’ai faite à Paris, en 1962, au lendemain même de l’exode d’Algérie. Cérémonie froide, un rien bâclée, sous les ors et fioritures extravagants de la synagogue des Tournelles. Sans rien de la splendeur modeste des fêtes de Constantine, sans les you-yous des femmes, la pluie des dragées et de l’eau de rose aspergée sur ma tête de nouveau membre de la communauté d’Israël. Mais, tout de même, j’avais réussi mon rite initiatique devant le rouleau de la Torah, avec les honneurs de la guerre.
Vinrent ensuite de longs mois de déshérence, de mélancolie, de menue rébellion à l’égard de mon père et de sa religion, moi qui, barbouillé d’humanités classiques, découvrais les prestiges de la culture française et affrontais la solitude du « rapatrié » au lycée. Devant notre pratique rabougrie, nos fêtes tristes à la maison, la déréliction me menaçait. Le reniement me guettait.
Et puis, hasard – ou miracle ? – des circonstances, je fis la connaissance de Paul. Dans ma banlieue où, vaille que vaille, se regroupaient de braves juifs, tout aussi désorientés que mon père, tentant de retrouver un peu de la vie juive ardente de « là-bas », une petite communauté se forma. D’abord, dans le garage d’un particulier. Puis, dans un pavillon racheté avec un crédit courant sur des décennies. Par fidélité boudeuse à mon père, j’assistais, çà et là, à des offices.
Claude Guez – je tiens à évoquer son nom – était la cheville ouvrière de notre minyan. C’est lui qui persuada un petit groupe de jeunes de rencontrer Paul. Par curiosité, je suivis le mouvement.
Bien m’en a pris. « Coup de foudre » immédiat. Paul affichait un air à la fois pénétrant et débonnaire. De plain-pied avec ces adolescents, il était à mille lieux des rabbins consistoriaux. Son bouc un rien « alsacien » était trompeur : il émanait de lui une énergie juvénile, un humour décapant, une persuasion redoutable qui en faisaient davantage un agitateur d’idées (et d’actions) qu’un pasteur des âmes confiné à la dracha du samedi. Je découvris plus tard ses origines hassidiques qui se reflétaient dans sa joie de vivre (et de transmettre) et un amour des nigounim, qu’il nous inculqua dans des séances de chant mémorables. Lorsque Paul enseignait ces airs, il était transporté, et nous avec lui. Je touchais du doigt ce que l’élan mystique pouvait signifier. Non moins mystique était son amour d’Israël, son sionisme dont je m’inspirerai pour effectuer mon alya (et que je trahirai avec ma yérida). Du moins, ai-je pris goût avec lui, grâce à lui, à l’étude de l’hébreu et à celle de la Tradition (sur ce point, j’ose espérer que je lui suis resté fidèle…).
Par-dessus tout, je conserve la mémoire de la « parenthèse enchantée » que nous offraient les séminaires de Tikvaténou et, surtout, l’été, celui de Doorn aux Pays-Bas. Là, nous constituions une sorte d’improbable kibboutz, dans un château (était-ce le refuge de Guillaume II, empereur d’Allemagne ?). Qu’on imagine un incubateur de cervelles enfiévrées, de camaraderies nouvelles, d’émulation intellectuelle.
Et comment oublier ces chabbatot où, tour à tour, officiait qui voulait (qui pouvait) à la téba ? Dans un joyeux mélange d’airs hassidiques et de liturgies diverses, ashkénazes ou séfarades, l’atmosphère atteignait des sommets spirituels dont le goût me manque aujourd’hui. S’il est un trait de l’œuvre de Paul à retenir – parmi tant d’autres –, c’est son engagement corps et âme à préserver et à cultiver l’héritage des communautés d’Afrique du Nord. Lui seul, ou à peu près, avait compris l’urgence à rassembler les débris épars du judaïsme maghrébin. Et nous sommes nombreux à lui devoir d’avoir été rattrapés par la peau du cou au bord de la déperdition.
De tout cela, je n’ai jamais osé lui en faire part de son vivant. En fait, je lui ai voué longtemps une reconnaissance et une affection muettes. Et même, beaucoup plus tard, à Jérusalem, à quelques mois de sa disparition, l’apercevant de loin, je n’ai pas eu le courage de l’aborder. Yehi Zihro Barukh, que son souvenir soir béni !»
Témoignage de Jean-Luc (Sion) Allouche, journaliste, écrivain et traducteur de l’hébreu.
Paul, mon maître, à qui je n’ai jamais avoué ce que je lui dois
En 1970, Paul Roitman fait son alya. Il ne part pas sans se préoccuper de l’avenir du
Mouvement, devenu entretemps le mouvement de jeunesse officiel du Consistoire.
Yossef Attia, un ancien du Bné Akiba de Paris, avait déjà été contacté à la faveur d’un
séjour
en Israël : « Il nous a exposé son plan de bataille en véritable chef d’état-major. Nous
avons
été gagnés à la cause, appliquant ses principes et ses méthodes de travail. Son quartier
général, c’était ce tout petit bureau situé sous les combles, à l’Agence juive, au 17, rue
Fortuny, où il n’y avait pas la place d’asseoir trois personnes. C’est là qu’il organisait,
donnait
des directives, réinventait la carte des communautés. »
Yossef accompagne Paul dans ses déplacements. Son expérience des mouvements de
jeunesse, sa familiarité avec le rabbin Roitman, permettent une collaboration fructueuse. A
Bordeaux, un grand dîner-débat est organisé, qui insuffle un nouvel élan à une communauté
en perte de vitesse. Sur la route, Paul fait un détour pour montrer à son compagnon de
route le fort du Hâ, sinistre prison surgie du passé, où il a été incarcéré par les
Allemands en
1942.
Avant son départ en alya, Paul demande à Yossef de prendre la direction de
Tikvaténou, que
celui-ci assurera jusqu’en 1977, puis à nouveau de 1985 à 1987. Figure ardente et cordiale,
Yossef est un homme de terrain : il parcourt les banlieues, multiplie les activités,
organise
nuits d’études et « chabbatot », communique aux jeunes son propre zèle.
D’Israël, le rabbin Roitman continue de s’impliquer dans la bonne marche du Mouvement. A
chacun de ses voyages, il assiste à Paris aux réunions du comité directeur, et il intervient
régulièrement auprès des autorités consistoriales et du président Elkann pour renflouer les
caisses et assurer la poursuite des activités. Ses liens personnels avec l’Agence juive lui
permettent en outre de décrocher pour Tikvaténou un budget spécifique et l’envoi de
chli’him. A qui connaît le cloisonnement idéologique de ces années-là, la
convergence, en
Tikvaténou, de la dimension communautaire et de la dimension sioniste, apparaît comme un
véritable tour de force.
Pressenti par Paul, Claude Bloch, pour sa part, accepte la présidence, et restera actif au
Mouvement jusqu’à son propre départ en alya, en 1988. Il reprend la tâche ingrate de
convaincre les notables et de veiller à l’équilibre du budget. Dans les années 1980, le
Consistoire menace de fermer le local de la rue de l’Éperon, arguant de son
inutilité. Claude Bloch, aidé de Marc Kogel, alors jeune étudiant, organise un
impressionnant
dîner (gracieusement offert par le restaurant Sabrina), qui réunit 80 étudiants. Marc Kogel
parle avec feu, évoquant un étudiant imaginaire qui vivrait seul à Paris, et qui ferait
état,
dans ses lettres à sa famille, de l’accueil qu’il a trouvé au Centre Edmond Fleg. Touché par
ce
réquisitoire, le président Elkann maintient le local ouvert et alloue même une somme pour
financer la réfection de la cuisine.
Autre épisode mémorable : en route pour le séminaire d’été, le jeune directeur alors en
poste se fait voler, dès le premier jour, l’enveloppe contenant tous les fonds destinés au
séminaire. C’est la catastrophe ! Claude Bloch, généreusement, sauve la situation en
comblant le déficit de sa poche.
Au fil des années, Tikvaténou érigera des groupes dans 60 communautés de banlieue et dans
une quinzaine de synagogues parisiennes. Les chabbatot pleins, à Chelles ou à Créteil,
rassemblent jusqu’à 150 ’havérim. 200 enfants rejoignent en Savoie les
ma’hanot d’été. En
1976, enfin, c’est le grand voyage de séminaire en Israël : il attire 150 ’havérim,
répartis
en
trois groupes d’âge.
Après Yossef Attia, Edmond Lahmi, Elie Thierry Chikli, et une jeune femme, Monique Nabet
Haddad, Armand Levy, Yves Elbaz et Mike Nakache se succéderont à la tête du Mouvement.
Il est à noter que plusieurs élèves de l’école rabbinique s’engagent eux aussi dans les
rangs
de Tikvaténou : Michel Margoliès, Haïm Tordjman, Philippe Haddad y seront directeurs.
Olivier Kauffman, Pierre-Yves Bauer dirigent ou animent des colonies.
Le grand rabbin Chouchena, un ancien membre du Bné Akiba d’Algérie, est présent dans les
divers séminaires de formation. Alliant à la fois un grand savoir et une personnalité
rayonnante, il devient assez vite, en quelque sorte, l’aumônier du Mouvement. C’est aussi,
de longue date, un ami personnel du rabbin Roitman. On n’imagine pas de veillée d’étude
sans lui.
« En 1990, alors que j’étais directeur, le Rav Roitman est passé à Paris au local de Tikvaténou et nous avons discuté un moment. Il semblait heureux de se retrouver dans la bibliothèque de la rue de l’Éperon, et, tout en me parlant, considérait les ouvrages avec émotion. En plus de sa gentillesse, de sa simplicité, de son dévouement pour Israël, c’est cet amour des livres qui m’a le plus frappé. »
Témoignage de Thierry Chikli
Parmi les chli’him, retenons les noms de Pin’has Zerbib, Eric Zenouda, Avi Ohana et
Shalom
Galil. Bernard Zanzouri, entré enfant à Tikvaténou dans les années 70, y reviendra deux fois
en tant que chalia’h, puis comme directeur dans les années 90.
En 1982, Elie (Charlie) et Nadine Aziza sont envoyés en chli’hout à Paris. Elie a grandi à
Rosny
sous-bois. Sa sœur aînée, Odylle Aziza, devenue Odylle Gottlieb, a assuré le secrétariat du
Mouvement dans les années héroïques. Elie est diplômé du Technion de Haïfa et déjà,
comme étudiant, il s’est engagé dans le travail social organisé par Paul auprès des familles
défavorisées. Il arrive, en outre, auréolé du prestige de l’armée, où il a servi comme
officier.
Nadine est elle-même une ancienne de Tikvaténou.
Elie et sa femme se lancent dans le travail : à Paris et dans les snifim de banlieue
- mais
également dans les communautés de Province que menace l’extinction : Saint-Quentin, La
Rochelle, Compiègne. Leur dynamisme chaleureux marque les jeunes de l’époque (Sam
Kadoch, Roger Koubi, Marc Adda, Claude, Michel et Bob Zribi), et permet d’établir entre eux
des liens persistants.
Sam Kadoch entre à Tikvaténou en 1978. Lui et les ’havérim de sa promotion, qui n’ont
pas
connu Paul en France, le rencontreront en 1980, à l’occasion du séminaire d’été en Israël.
Pour eux, il est une figure mythique : ils savent seulement qu’il a été un grand Résistant,
et
qu’il a abandonné des études de médecine pour se dévouer corps et âme au peuple juif. Son
idéal est contagieux, et c’est tout naturellement que les jeunes gens accepteront, après le
séminaire, selon les normes du Mouvement, de s’engager pour une année de travail social
bénévole.
En 1984, Sam décroche son bac. Lui et son ami Bernard Zanzouri décident alors de partir
faire leurs études en Israël. C’est une première. A la fin des années 60, dans le sillage
des
séminaires de Doorn, quelques anciens - dont Jean-Luc Allouche, Daniel et Ghislaine Halimi -
avaient pris la route. Mais l’effet de la guerre des Six Jours s’était estompé. Si la
plupart des
« anciens » restaient actifs au Mouvement, ils s’installaient à Paris. Avec ces récents
départs,
l’alya des ’havérim de Tikvaténou connaît un nouvel essor. Ils seront des
centaines, au fil
des
années, à tout quitter pour s’embarquer vers la Terre Promise. Les enfants d’autrefois y
deviennent des dirigeants politiques, des militants sociaux, des dentistes et des médecins.
« Témoignage de Sam Kadoch Pour toute une génération - la mienne, pour tous ceux qui ont été ’havérim à Tikvaténou dans les années 80, - le nom du Rav Roitman résonne de façon toute particulière. Se mobiliser, être bénévole dans un mouvement de jeunesse tel que Tikvaténou, c’était pour nous une bouffée d’oxygène : pour les jeunes que nous étions, et qui, à l'époque, ne fréquentaient pas l'école juive. Tout au plus, nous allions au Talmud-Thora de notre synagogue de quartier : Nazareth (Paris 3 ème ), Chasseloup-Laubat (Paris 15 ème ), Vergniault (Paris 14 ème ), Le Raincy …
Cette nouvelle raison d’être, trouvée dans l’aventure collective, nous les devions à un homme que nous ne connaissions pas et que nous n’avions jamais rencontré. Des bribes de renseignements circulaient sur sa personne et sur sa vie : qu’il avait été un grand Résistant pendant la guerre ; qu’il avait interrompu ses études de médecine, et créé le Bné Akiba en France. Nous savions aussi qu’il poursuivait en Israël son œuvre éducatrice, et qu’un nouveau mouvement, Thora Bezion, prolongeait là-bas l’action de Tikvaténou amorcée à Paris. Dans tous ces ouï-dire, difficile de faire la part du vrai et du faux, de la réalité et de la légende. Dépourvus d’informations précises, nous nous bornions à respecter, de loin, cet homme inconnu qui nous avait fait tant de bien.
C'était donc un passage obligatoire, à ceux qui se rendaient en Israël en été, dans le cadre des séminaires de formation ou des périodes de bénévolat, que de monter en pèlerinage vers le petit bureau du rabbin Roitman, pour y faire enfin la connaissance de « Paul », ce créateur, ce militant, ce madrikh dans l’âme. Quel que devait être le contenu de la rencontre - sourire, détente, ou rendez-vous plus formel - elle représentait, en soi, un événement. Cet homme petit de taille, et pourtant si grand par son action, nous raconta comment il était parti dans les banlieues à la recherche des juifs émigrés d'Afrique du nord, afin de les accueillir, de les organiser en communautés et d’assurer leur intégration. Comment il était entré en relation avec les grands responsables de l’époque (le baron Alain de Rothschild, le président Jean-Paul Elkann, le grand rabbin Kaplan) pour les associer à cette tâche, et les avait convaincus d’investir dans l’éducation parascolaire et la formation de la jeunesse. « Monter des snifim », c’était le mot magique qui revenait dans son discours comme une incantation : la force du Mouvement repose sur les snifim ; plus de snifim, donc plus de jeunes, et plus d’impact à l’Action…
Il nous donna aussi, à nous qui devions devenir des leaders, la clé première de toute authentique éducation, celle qui fait le principe des mouvements de jeunesse : montrer l’exemple ! C’était cela, Paul, au temps de Tikvaténou : pas de longs discours, mais un enseignement par l’exemple, une leçon de vie. Nous aurons eu ce privilège, qui n’a pas été accordé aux plus jeunes, de le connaître personnellement et même de travailler à ses côtés. C’est une expérience inoubliable qui reste gravée en nous à jamais. »
Témoignage de Sam Kadoch
Le bilan s'avère donc positif et les réalisations sont nombreuses, tant sur le plan
individuel
qu'à l'échelle collective. Entre 1965 et 2000, plus de 400 personnes auront été
madrikhim
à
Tikvaténou ; et durant plus de quarante ans, le Mouvement a conservé la même orientation
communautaire et sioniste. Cette réussite manifeste a posteriori à quel point l’initiative
répondait à un besoin objectif et pressant.
En Israël, les ’havérim maintiennent le contact entre eux. En 1987, Elie revient de
chli’hout :
il constitue, avec un groupe d’anciens, « Magchimei Tikvaténou », les « réalisateurs ».
Le but de l’association est, premièrement, d’aider les anciens de Tikvaténou à s’intégrer en
Israël, et plus généralement de créer un cadre d’accueil aux nouveaux arrivants. Ces
« réalisateurs » assurent la liaison avec les ’havérim en France, et se donnent aussi
pour
mission d’aider Thora Bezion (le dernier né des Mouvements
fondés par Paul Roitman) dans
son travail d’intégration sociale. De nombreux anciens de Tikvaténou deviendront ainsi des
madrikhim bénévoles dans les snifim et les ma’hanot organisés par Thora
Bezion à travers le
pays.
Au cours d’une réunion avec Paul Roitman et Claude Bloch, alors encore en France, il est
décidé qu’un bureau sera mis à la disposition des Magchimei Tikvaténou, au Centre Fanny
Kaplan de Jérusalem - l’un des trois centres Fanny Kaplan édifiés en Israël par le rabbin
Roitman, grâce aux fonds réunis par Mme Kaplan. Claude Bloch finance personnellement de
nombreuses activités du jeune groupe. Uriel Porat est nommé directeur à mi-temps et Avi
Sellem lui succédera.
Par la suite, Magchimé Tikvaténou se transformera en association d’aide aux étudiants
francophones. Il prend alors le nom de CNEF.
Sensible depuis sa propre alya à la question des étudiants « montés » seuls et coupés
de
leur
famille, le rabbin Roitman épaule le groupe et le fait bénéficier de son expérience. Il
pousse
Sam et ses amis à créer un comité de professeurs qui permettra d’appuyer les étudiants
auprès de l’institution. Il convainc les professeurs Rabello, Moshé Bar-Asher, Michel et Daniel
Revel, Jacques Goldberg de s’enrôler dans ce comité de soutien. En 1990, un premier
congrès des étudiants francophones est organisé, qui réunit 300 étudiants à l‘Université
Bar-
Ilan.