Thora Vetzion (1958 - 1970)

Dès 1955, Paul Roitman pressent qu'un bouleversement historique et démographique se prépare en Afrique du Nord. Vers 1958, c'est l'arrivée massive en France des juifs d'Afrique du Nord, principalement d'Algérie. La plupart d'entre eux viennent s'installer en banlieue parisienne. Coupés de leurs communautés, arrachés à leurs traditions et désorientés, ces juifs "rapatriés" sont guettés par l'assimilation. C'est également l'époque d'une désaffectation de plus en plus grande de la jeunesse intellectuelle à l'égard des valeurs juives et religieuses. Profondément préoccupé par cette double menace, Paul Roitman ne cesse de repenser la question. Finalement, une solution se dessine dans son esprit: il résoudra un problème par l'autre. Il mobilise alors de jeunes intellectuels auxquels il inculque les premiers rudiments du judaïsme. Il les envoie ensuite dispenser ces connaissances toutes fraîches dans les foyers juifs de banlieue, disséminés en région parisienne. À ce mouvement, Paul Roitman donnera le nom de Thora Vetzion.

Le sauvetage des juifs réfugiés d'Afrique du Nord


Au milieu des années 1950, la situation en Algérie se dégrade. La violence s'est installée partout et Paul Roitman, qui connaît l'Afrique du Nord pour s'y être rendu à plusieurs reprises lors de la création des "snifim" du Bné Akiba, sait que le drame, pour les Juifs d'Afrique du Nord, est imminent. La communauté juive dans son ensemble va être obligée de quitter l'Algérie, au moment où le monde arabe est tout entier à sa passion anti-israélienne ; il sait aussi que les Juifs d'Algérie, Français pour la plupart, ne se rendront pas en Eretz Israël, qu'ils iront en France.

Avant l'arrivée massive des émigrés, il s'efforce alors de faire comprendre aux dirigeants du judaïsme français la gravité de la situation, insistant sur les responsabilités qui incombent aux Juifs de la métropole. Il préconise à ce moment-là, mais en vain, que dans chaque communauté de moyenne importance, on prévoie l'accueil de plusieurs familles. Ceci, afin de repeupler ces communautés en déclin, de leur infuser un sang neuf - et de permettre d'autre part aux correligionnaires venus d'Alger, d'Oran ou de Constantine, de s'intégrer "en douceur" et de trouver plus facilement un logement et du travail. Finalement, c'est l'explosion: la communauté juive d'Afrique du Nord arrive en France avec la précipitation et les difficultés que l'on sait, alors que cette débâcle aurait pu être partiellement évitée. La banlieue parisienne est immédiatement submergée de centaines de milliers d'immigrants juifs, arrachés à leurs communautés d'origine et dispersés entre les diverses localités. Les Juifs ne sont pas répertoriés, ne se connaissent pas entre eux, et il n'existe aucune structure susceptible de les encadrer.

Or, à la même époque, le rabbin Roitman, déjà fortement mobilisé par la tragédie nord-africaine, connaît un autre sujet de préoccupation: celui de l'assimilation qui menace les jeunes intellectuels juifs nés autour de la guerre, et aujourd'hui adultes. Ces derniers se détachent peu à peu d'un judaïsme, dont, après 1945, ils semblent ne plus attendre de réponse et qui, croient-ils, n'a plus rien à leur demander ni à leur offrir. L'intuition géniale du rabbin Roitman sera alors de relier les deux problèmes, en tâchant de résoudre une difficulté par l'autre. Il explique alors à ces jeunes, universitaires pour la plupart, que le judaïsme a absolument besoin d'eux, que grâce à eux il deviendra possible de sauver des communautés entières, des dizaines de milliers de Juifs dispersés dans les cités de banlieue. Il donne à tour de bras des cours d'hébreu et de pensée juive à ces jeunes qui ont souvent complétement oublié les rudiments appris naguère, avant la Bar-Mitzvah, ou qui... n'ont jamais célébré de Bar-Mitzvah! Il leur fait comprendre le caractère urgent et impératif de leur mission - et c'est ainsi qu'il arrive à mettre sur pied des dizaines et des dizaines de cellules de quatre bénévoles qu'il envoie, tous les dimanches matin, dans les diverses localités de banlieue. Les jeunes gens ont pour mission d'y rechercher les familles juives coupées de toute communauté. Ils repèrent, sur les boîtes aux lettres, les noms à consonance juive, s'enquièrent de cousins ou de voisins, et peu à peu organisent, dans les appartements ou des locaux de fortune, des Talmudei Thora ainsi que de multiples activités récréactives. Ces jeunes militants, totalement gagnés à la cause de la solidarité juive, forment bientôt un mouvement dynamique et créateur, qui prendra le nom de Thora Vezion. On peut considérer que c'est essentiellement grâce à l'énergie et à l'iniative de Paul Roitman, soutenu plus tard par le Consistoire Israélite de Paris, que près de quatre-vingt points de Talmud Thora ont pu être créés, qui, pour la plupart, fonctionnent encore régulièrement jusqu'à ce jour.

Paul Roitman saura également susciter l'enthousiasme du baron Alain de Rothschild, alors président du Consistoire Central. Le Baron se plaisait à dire: “Vous me coûtez très cher, Monsieur Roitman, déjà plus de 300 millions de francs!" Et en effet, avec le concours financier du Consistoire, chaque Talmud Thora, une fois monté, se transformait en Centre communautaire, et chaque minyan, en synagogue.


פ Au début des années 1990, Paul Roitman demande à Alain Michel, historien, de retracer l'aventure du Mouvement. Avec l'aimable autorisation de l'auteur, nous citerons ci-dessous quelques extraits de son ouvrage, publié par l'Alliance Israélite Universelle: À la recherche de mes frères.


Les ramifications

Sur l'impulsion de son fondateur, Thora Vezion donnera naissance à deux courants qui en sont les prolongements logiques. Le premier apparaît comme la réalisation naturelle de la dimension sioniste du mouvement: Torah Vealya rassemble en Israël les "anciens" qui ont décidé de partir. Lionel Bertin-Lehmann prend la direction de cette antenne, qui s'est donné pour but de faciliter l'intégration en Israël des jeunes intellectuels et universitaires francophones. Il se propose également de leur montrer l'actualité de la Thora et de la tradition juive dans une société en formation et un État moderne.



La seconde subdivision est locale, et orientée vers les jeunes. Une fois jetés les jalons des premières communautés, en effet, le rabbin Roitman, toujours tourné vers l'avenir, a pris rapidement conscience de la nécessité d'assurer la relève. Il crée alors la branche cadette de Thora Vezion, Tikvaténou, qui s'adresse aux adolescents. Cette initiative rencontrera un succès étonnant - aussi bien à Paris qu'en banlieue et en Province. Parallèle à Thora Vetsion, le nouveau Mouvement est appelé à combler un manque: il répond au désarroi de ces jeunes gens et jeunes filles qui, au lendemain de leur bar- ou bat-mitzvah, se retrouvent seuls, sans identification sociale ni rattachement communautaire. Véritable école de cadres en formation, Tikvaténou est destiné à constituer l'infrastructure des communautés à venir. Nous lui réservons un peu plus loin une rubrique à part.