Synagogues et institutions

Autour de la guerre des Six Jours, une collecte de fonds exceptionnelle est organisée. Elle permettra au Consistoire de France de lancer des opérations de soutien à Israël. Délégué des Consistoires à Jérusalem, Paul Roitman est sollicité pour mener à bien divers projets de construction. Il y apporte son dévouement, son expérience et son efficacité. A partir de notes de travail du rabbin Roitman, nous présentons ici la genèse de ces entreprises.

Les synagogues


Au moment de la guerre des Six Jours, le gouvernement israélien lança un appel à toutes les communautés de la Diaspora en leur demandant de soutenir Israël dans son combat pour l’existence, et de participer généreusement à une action financière exceptionnelle. Le Consistoire de France se mobilisa comme les autres. L’opération eut un grand retentissement et les recettes furent incomparablement supérieures à celles de toutes les années précédentes. Trois organismes avaient participé à l’appel de fonds : le Keren Hayessod, le Fonds social et le Consistoire. Durant toute cette partie de l’année 1967, ils avaient abandonné leur propre collecte pour ne s’occuper que d’une chose : « l’action spéciale » en faveur d’Israël. Du coup, deux d’entre eux, le Keren Hayessod et le Fonds social, alléguèrent qu’ils avaient eu des frais supplémentaires (de l’ordre de 15%), et demandèrent à être indemnisés. Le Consistoire, pour sa part, refusa de prendre de l’argent, mais proposa que la somme qui lui revenait soit affectée à la construction, en Israël, d’établissements religieux. Il se vit finalement attribuer une somme globale de 160.000$, qu’il répartit entre plusieurs projets.


Peer Yerusalayim


Rappelons qu’à l’époque Teddy Kollek était maire de Jérusalem : il joua de son influence pour convaincre Alain de Rothschild, alors président du Consistoire central, de parrainer la construction de synagogues. 40.000 $ furent donc alloués à une communauté sépharade de la Moshava Hayevanit (non loin de Bak’a), qui était à l’époque sans synagogue. Les fidèles priaient dans un petit oratoire prêté par une yeshiva voisine, et la moitié d’entre eux restaient debout dans le couloir. La synagogue fut rapidement construite, grâce à la générosité du baron Alain de Rothschild, et prit le nom de Peer Yerushalayim. Paul Roitman avait demandé au président de Rothschild d’inclure dans le contrat une clause spécifique par laquelle la communauté s’engagerait à mettre un local à la disposition du mouvement de jeunesse qu’il venait de créer, Thora Betzion. La direction de Peer Yerushalayim s’empressa d’accepter, et invita le rabbin Roitman, représentant des Consistoires, à entrer au comité à titre de vice-président. La communauté lui resta toujours reconnaissante, et lui réserva dans la synagogue un siège d’honneur qui porte toujours son nom.


Baka

Une seconde tranche de 40.000 $ fut allouée à une communauté d’origine marocaine pour la construction, à Baka (re’hov Shimeon), d’une seconde synagogue. Les plans prévoyaient un bâtiment plus large que Peer Yerushalayim, et le baron de Rothschild et Paul Roitman demandèrent aux responsables de bien vouloir mettre le sous-sol à la disposition de Thora Betzion pour ses activités éducatives. Les dirigeants refusèrent, sous prétexte que le sous-sol serait aménagé en une salle de réception qui pourrait être louée. De fait, la fameuse salle ne servit aux mariages que durant une très courte période : les voisins s’étant plaints du tapage nocturne, l’utilisation de la salle pour ce type de manifestations fut interdite. Lors de l’inauguration, aucun membre du Consistoire, ni son délégué en Israël, ne furent invités.

Sur une proposition du Dr Warhaftig, alors ministre des affaires religieuses, une nouvelle subvention de 40.000 $ fut destinée à la construction, dans une école technique, d’une troisième synagogue, qui devait porter le nom du Consistoire de Paris. Curieusement, l’argent venant chaque fois à manquer, la cérémonie de pose de la première pierre se répéta plusieurs fois …. Finalement, quand la construction fut achevée, l’établissement cessa toute relation avec le Consistoire, oublia même de mentionner sa contribution financière, et se contenta d’envoyer quelques photos.

40.000 dollars, enfin, furent consacrés à un projet de crèche que le Président Alain de Rothschild, en accord avec Paul Roitman et Mme Elkann, devait définitivement entériner au retour d’un voyage en Israël. Ce projet allait connaître plusieurs avatars, et aboutir finalement à la construction des Centres Fanny Kaplan.


Institutions


Les Centres Fanny Kaplan


Après la guerre des Six jours, Mme Tova Sanhedray, alors vice-présidente de la Knesset, se rendit en visite à Paris. Elle arrivait avec un projet qu’elle souhaitait soumettre à une association féminine : la création d’une crèche [d’un jardin d’enfants] à Jérusalem, dans la vieille ville alors libérée. A sa demande, Mme Fanny Kaplan avait accepté de réunir, pour la rencontrer, quelques femmes influentes de la communauté.

Paul Roitman :
« Mme Sanhedray avait cherché à me voir à Paris. Elle me mit au courant de la mission dont elle était chargée, et me demanda, comme un service personnel, de participer à cette réunion qui devait voir lieu dans l’après-midi chez Mme Kaplan. Elle-même ne parlait que l’hébreu, et avait besoin d’un interprète capable de traduire son intervention. J’acceptai bien volontiers. Il y avait là une trentaine de femmes, dont les épouses de plusieurs grands rabbins et rabbins, ainsi que Mme Elkann [l’épouse de Jean-Paul Elkann, alors président du Consistoire de Paris].
Mme Tova Sanhedray fit son exposé en s’arrêtant plusieurs fois, pour me laisser le temps de la traduire. Elle m’avait d’ailleurs donné carte blanche pour ne pas la traduire à la lettre, et je profitai de cette liberté pour … adapter son exposé à ma manière, de façon à le rendre plus percutant : les dames réunies acceptèrent de parrainer le projet, en s’engageant à trouver les fonds nécessaires. Et le Consistoire, sollicité, accorda finalement une allocation de 40.000$. »

Les femmes mizra’histes - Mme Sanhedray en premier lieu - furent ravies de ce don généreux, et adressèrent des lettres de remerciement à Mme Kaplan et à Mme Elkann, ainsi qu’au rabbin Paul Roitman. Mme Kaplan pensait que la crèche serait rapidement construite. Mais les années passèrent – 1967, 68 , 69 et même 1970 - sans que rien ne bouge. Jusqu’à ce que, au mois de décembre 1970, Paul Roitman parte en alya.

Mme Tova Sanhedray

Paul Roitman :
« Il y eut avant mon départ une nouvelle réunion de la section féminine de « Judaïsme et Tradition » autour de Mme Kaplan. Il me fut demandé de poser un véritable ultimatum à Mme Sanhedray et à son groupe de femmes mizra’histes : soit vous édifiez la crèche, soit vous nous rendez l’argent ! Dès mon arrivée en Israël, je me mis en rapport avec Mme Sanhedray qui m’assura que leur comité avait déjà reçu plusieurs propositions, et qu’il finirait par en retenir une valable. Quelques mois plus tard, elle m’annonça que leur groupe allait très prochainement se voir attribuer un terrain. »

Et effectivement, la municipalité assigna un terrain à la construction d’une crèche à Jérusalem, en plein cœur de Shmuel Hanavi. À l’époque, Paul Roitman avait déjà commencé à « travailler » dans ce quartier difficile et à y organiser les enfants en un mouvement de jeunesse, sous l’égide de Thora Betzion. Les réunions avaient lieu dans des locaux de fortune - abris souterrains pour la plupart, aux conditions difficiles : accès malaisé, humidité, faible éclairage, …

Paul Roitman:
« Je suis allé voir Mme Kaplan et lui ai fait la proposition suivante : plutôt que de se contenter du seul jardin d’enfants, il faudrait plus largement construire un Centre communautaire dans lequel le jardin d’enfants trouverait sa place, sans que ses droits ne soient lésés en aucune manière. Je lui ai dépeint ces gamins livrés à eux-mêmes qui traînaient dans la rue, et lui ai expliqué l’importance d’un Centre. »

Mme Kaplan, alors de passage en Israël, demanda un délai de huit jours avant de se prononcer. Quand elle revint en France, elle évoqua à son tour la triste condition de ces enfants qui n’avaient nulle part où aller, et qui subissaient l’influence néfaste de la rue : elle s’aperçut alors que les personnes sollicitées réagissaient de façon beaucoup plus vive et spontanée. Elle décida donc d’accepter la proposition de Paul Roitman, et d’édifier un Centre communautaire qui porterait son nom : le Centre Fanny Kaplan. La pose de la première pierre eut lieu en 1972, et le bâtiment fut achevé en 1975. Le rez-de chaussée était intégralement réservé à la crèche, et les étages supérieurs, au Centre Fanny Kaplan proprement dit. Encouragée et stimulée par le succès du Centre de Jérusalem, Mme Kaplan songea à en faire édifier d’autres. Ayant trouvé un très gros donateur, elle pensa d’abord à se tourner vers Tel-Aviv. Finalement, le projet fut abandonné, en raison, principalement, de l’attitude du maire.

Paul Roitman:
« Entre temps, le grand rabbin Chaar Yachouv Cohen nous avait transmis la réponse de la municipalité de Haïfa, qui approuvait le projet d’édification d’un Centre communautaire, aux conditions mêmes que nous avions posées :
1° « Judaïsme et tradition » s’engageait à construire le bâtiment dans son intégralité et à supporter tous les frais de la construction.
2° La municipalité s’engageait à assurer par la suite, et de façon permanente, le budget du fonctionnement.
3° La maison serait dirigée par un comité paritaire de huit à dix membres, dont la moitié serait désignée par la municipalité, et l’autre, par le groupe français « Judaïsme et Tradition ».
Le contrat stipulait en outre que Thora Betzion, le mouvement de jeunesse soutenu par « Judaïsme et Tradition », commencerait tout de suite à lancer des activités sur le site du futur établissement, et qu’avec l’ouverture officielle du Centre, il aurait la jouissance d’une partie des locaux. La mairie s’engagea, de son côté, à soutenir le mouvement.

Paul Roitman:
« Quant à Beer-Sheva, le coup d’envoi à la construction du Centre nous fut donné par une proposition de M. Nezrith : il se faisait fort d’obtenir un terrain contigu à sa synagogue, et demandait, en contrepartie, une subvention de 30.000 $. Pendant tout un temps, Mme Kaplan s’opposa absolument à ce projet, mais je finis par trouver l’argument propre à la convaincre : la loi exigeait, en effet, que chaque nouveau bâtiment construit comprenne un abri anti-aérien. Je lui expliquai que la contiguïté du futur Centre et de la synagogue de M. Nezrith permettrait de faire l’économie d’un nouvel abri, ce qui compenserait, en quelque sorte, l’allocation qu’il demandait. Du coup, Mme Kaplan accepta. »

Paul Roitman, avec son énergie habituelle, s’occupa des chantiers. Les Maisons ne furent inaugurées que beaucoup plus tard : après Jérusalem (en 1973), ce fut Haïfa (1977) et Beer- Shéva (1979). Ces centres-pilotes, sionistes et religieux mais apolitiques et ouverts à tous, seront vite réputés pour leurs activités nombreuses – culturelles, éducatives et sociales. On y trouve une garderie d’enfants, mais aussi bien des cours pour adultes, qui vont de l’apprentissage de l’alphabet aux cours de Talmud, en passant par les langues étrangères, des clubs de sport, des ateliers de couture. Animées par Thora Betzion, les activités pour les jeunes visent à former une nouvelle génération. Leur succès attire dans la Maison de nombreux parents. Le Centre communautaire va ainsi permettre à ces populations défavorisées, trop souvent laissées pour compte, de renouer avec leur patrimoine et de se restructurer en communautés.


Le Centre Frankforter

Grâce à la générosité du rabbin Isidore Frankforter, Paul Roitman crée encore à Baka, en 1982, un centre d’accueil pour le troisième âge, qui portera le nom de « Maison Frankforter ». Nommé en 1985 président de l’association, il multiplie les initiatives. Des volontaires assurent le transport des personnes âgées depuis leur domicile jusqu’au Centre. La Maison Frankforter leur propose des cours, des activités culturelles et récréatives, mais aussi un service de soins médicaux gratuits, assuré par des médecins bénévoles. C’est bientôt un lieu de référence culturel et social dans tout ce secteur urbain.